Les travaux interactionnistes menés aux Etats-Unis dans les années 1960 et 1970 (Ciccourel et Kitsude, 1973 ; Erickson, 1975), puis des travaux statistiques et ethnographiques dans les deux décennies suivantes, ont contribué à la diffusion d'une vision des acteurs scolaires de l'enseignement secondaire (enseignants, conseillers d'orientation, directeurs des établissements) comme gatekeepers de l'accès à l'enseignement supérieur, autrement dit comme des acteurs dotés de visées normatives, triant les élèves en fonction de leurs capacités et potentialités, et orientant sur cette base certains vers des études longues permettant l'accès à des emplois bien considérés et rémunérés et à des positions sociales prestigieuses, d'autres vers des études courtes menant à des positions intermédiaires dans l'échelle sociale et professionnelle, d'autres encore directement vers une « vie active » composée d'emplois d'employés et d'ouvriers. Plusieurs de ces études ont par ailleurs mis en évidence l'existence d'importantes variations dans les perspectives et pratiques de ces acteurs en fonction de la composition sociale et ethnique et du profil académique des élèves de l'établissement d'enseignement secondaire où ils exercent leur activité (McDonough, 1987 ; Reay et al., 1998).
Notre étude en cours dans quatre lycées contrastés (3 publics et 1 privé) de la région parisienne montre elle aussi de fortes différences entre ces établissements concernant le paysage de l'enseignement supérieur proposé aux élèves, ainsi que le degré de mobilisation des personnels à l'égard de cette question, la précocité de leur action et le degré de personnalisation de leurs conseils (van Zanten 2015). Elle montre néanmoins également deux évolutions importantes : d'une part, un affaiblissement des visées normatives des acteurs scolaires à l'égard des destinées scolaires, professionnelles et sociales des élèves, notamment ceux des milieux populaires, d'autre part, l'émergence d'un nombre important d'acteurs publics et privés intervenant sur la question de l'orientation vers l'enseignement supérieur en ayant recours à des discours et des pratiques très différentes de ceux du monde enseignant. Ces deux tendances, qui sont liés aux évolutions du marché de l'emploi, aux pressions politiques en faveur de l'allongement des scolarités et à la pénétration dans le monde de l'enseignement supérieur et de l'éducation de logiques de marché, invitent à revoir le rôle des acteurs scolaires de l'enseignement dans la production des inégalités dans un contexte d'ébranlement des bases de leur autorité et de leur capacité d'action.
References
Ciccourel A., Kitsuse J. 1963, The Educational Decision-Makers, Indianapolis, Bobbs-Merrill.
Erickson F. 1975, « Gatekeeping and the melting pot: Interaction in counseling encounters », Harvard Education Review, Spring.
McDonough P. 1997, Choosing Colleges: How Social Class and Schools Structure Opportunity, New York, SUNY.
Reay D. David, M., Ball, S. 2005, Degrees of Choice: social class, race and gender in higher education, London, Trentham Books.
van Zanten A. 2015, « Les inégalités d'accès à l'enseignement supérieur. Quel rôle joue le lycée d'origine des futurs étudiants ? », Regards croisés sur l'économie, n°16, p. 80-92.