Au Québec, comme dans une grande partie des pays industrialisés, le subventionnement de la recherche en sciences humaines et sociales, notamment en éducation, adopte de plus en plus systématiquement la forme d'une recherche orientée (Benninghorff, Ramuz et Leresche, 2004; Seferdjeli et Stroumza, 2011). Ainsi le Fonds de recherche du Québec, société et culture (FRQSC), hors du soutien infrastructurel, voit la majeure partie de ses offres de financement centrée sur des programmes d'actions concertées dont les fonds proviennent généralement de ministères ou d'organismes paragouvernementaux qui fixent les objets et les conditions de réalisation des recherches selon leurs besoins particuliers de connaissance. Le constat de restriction de la recherche « libre » ou fondamentale dont les objets et, conséquemment, les questions de recherche sont intégralement déterminés par un chercheur ou par une équipe de recherche n'est pas nouveau. Godin, Trépanier et Albert (2000) en soulignaient la progression constante au sein des organismes subventionnaires fédéraux et provinciaux canadiens depuis la fin des années 1980. Ils documentaient aussi le contrôle concomitant progressivement assuré par les bailleurs de fonds, non seulement sur les objets des offres de financement mais sur la détermination et l'évaluation des objectifs, des propositions et des rapports de recherche. Dans ce contexte, les organismes subventionnaires indépendants se transforment objectivement en « courtiers en recherche ». Les offres de financement se recentrent progressivement dans une perspective de recherche évaluative visant la production de données probantes destinées, tant dans les domaines de la santé, des services sociaux que l'éducation, à la production de référentiels de bonnes pratiques qui sont subséquemment imposés aux milieux de pratique (Jacob, 2009; Lecomte, 2003; Siegel, 2006; Slavin, 2002). Paradoxalement, l'offre de financement de plus en plus contrainte en perspective orientée intègre souvent une dimension ciblant le déploiement de recherches partenariales ou collaboratives. Ainsi, au Québec, la majeure partie des appels à proposition du FRQSC dans le cadre des programmes d'actions concertées intègre un volet dit de recherche-action qui en fait se limite à la contrainte d'association formelle d'organismes représentatifs des milieux de pratique en tant que partenaires aux propositions de recherche.
Dans cette communication, à partir de deux recherches évaluatives en fin de parcours, nous explorerons les implications de la contrainte posée par l'orientation de la recherche de la part des organismes subventionnaires majeurs sur la capacité de problématiser et de réaliser des recherches de nature réellement collaborative ou partenariale avec les milieux de l'intervention éducative et socioéducative. Nous en examinerons les effets sous l'angle de l'évaluation des pratiques et de leurs impacts ainsi que de l'espace laissé aux stratégies de transfert et d'opérationnalisation des données probantes dans les milieux de pratique. Nous questionnerons enfin l'usage possible des offres de financement en fonction des intérêts de connaissance ou de formation des partenaires réels des chercheur, les intervenantes et intervenants du terrain, tout en respectant les attentes et demandes des bailleurs de fonds, partenaires officiels des organismes subventionnaires.
Références
Benninghorff, M., Ramuz, R. et Leresche, J.-P. (2004). Transformations des politiques de recherche en Europe : les cas de la Suisse, de l'Allemagne et de la France. Revue française d'administration publique, 112, 777 – 789.
Jacob, S. (2009). Opération chloroforme ou la réinvention de l'État rationnel : l'évaluation et les données probantes. Criminologie, 42(1), 201-223.
Seferdjeli, L. et Stroumza, K. (2011). Partenariat de recherche en Hautes écoles spécialisées Santé Travail social de Suisse occidentale. SociologieS [En ligne], Dossiers, Les partenariats de recherche, mis en ligne le 18 octobre 2011, consulté le 05 décembre 2015. URL : http://sociologies.revues.org/3622