La loi de Refondation de l'école, en 2013, met en avant la notion « d'école bienveillante ». La bienveillance peut d'emblée se définir de deux manières : soit comme le fait de veiller au bien d'autrui – ici, les élèves – et dans ce cas il faudra s'interroger sur le bien-être des élèves dans une école « hospitalière » (Prairat, 2013) ; soit comme celui de bien veiller sur autrui, et dans ce cas il sera nécessaire de comprendre les formes concrètes que ce bien veiller doit prendre dans l'action quotidienne des professeurs. Face à la demande de bienveillance, institutionnelle et humaine, il semble nécessaire d'objectiver comment cette dernière s'incarne dans la didactique et l'éthique professionnelle des professeurs.
Le programme « LéA Éole Freinet » (Lieux d'Éducation Associés) relié à l'Institut Français d'Éducation, intitulé « innover pour une école bienveillante » intègre une recherche conjointe sur la pédagogie Montessori dans le cadre de son projet de recherche 2014-2017. Il s'agit d'objectiver les pratiques d'une école Montessori (école Chevreul, Lyon 3ème) afin des « théoriser et en produire un modèle générique » (Go, Expérithèque).
La bienveillance est partie intégrante de la pédagogie de Maria Montessori. Dans cette optique, le « respect » de l'enfant, concept pivot dans la pensée pédagogique et scientifique de la pédagogue, suppose deux éléments centraux :
- d'une part, une organisation nouvelle de la classe, du milieu, adapté à l'enfant, créant une « ambiance » favorisant la liberté de l'enfant et la concentration qui lui est propre. Cette ambiance devra être « libératrice » et non « formatrice » : elle devra permettre à l'enfant de révéler « son caractère, son rythme de vie » (Montessori, 1929), et proposer le support à partir duquel l'enfant pourra croître selon son développement intérieur ;
- d'autre part, il faudra que l'adulte « corrige » son attitude face à l'enfant, devenant comme le scientifique devant les faits naturels : observateur, humble, et recherchant la « vérité dans l'âme de l'enfant », sans idées préconçues (Montessori, 2007/1958). Le « respect » de l'enfant, de la part de l'adulte éducateur, sera notamment de refuser toute stimulation extérieure, qu'elle soit aide, conseil ou influence de l'enfant pour l'instruire (Montessori, 1929).
En effet, si l'adulte fonctionne selon des motifs extérieurs – concurrence, émulation, efficacité – l'enfant fonctionne pour sa part selon des motifs intérieurs, suivant le plan de son développement, et selon des modalités singulières, notamment les périodes de sensibilité et la métamorphose, c'est-à-dire le passage d'un « état présent à un autre présent » (ibid). L'adulte doit alors « transformer » les rapports qu'il entretient avec l'enfant, ce qui le met, note Montessori, à « rude épreuve » (Montessori, 1937). « On a cru qu'il suffisait, pour l'éduquer [l'enfant], de lui enseigner des principes et de corriger ses défauts. L'expérience a montré qu'il fallait, au contraire, lui ménager une ambiance adaptée, préparer les moyens nécessaires à son développement, et puis transformer la personnalité de l'adulte dans ses rapports avec lui » (ibid).
Cette communication donnera quelques premiers résultats de recherche : Que signifie la réorganisation du milieu pour le respect de l'enfant, dans une classe Montessori ? Quelles sont les postures didactiques adoptées par les enseignants ?
Le cadre et la méthodologie relèvent, d'une part, de la didactique de l'action conjointe menée par Gérard Sensevy (Sensevy & Mercier, 2007 ; Sensevy, 2011) ; d'autre part, de l'éthique et la déontologie enseignante proposée par Eirick Prairat (Prairat, 2009 ; 2013). Nous nous baserons sur une suite d'observations menées pendant l'année 2015 – 2016 dans une classe Montessori, en particulier les 3 – 6 ans, à Lyon (école Chevreul), et analysées en lien avec les enseignantes. Ces observations devront permettre d'objectiver la mise en œuvre d'une bienveillance – proche d'une « sollicitude » – produite comme une tension entre « le sujet abstrait doté de droits et le sujet sensible maqué par des besoins et des fragilités » (Prairat, 2013, 111). Elles permettront également d'effectuer des correspondances avec la notion de « milieu » et la triple dimension de l'activité didactique proposée par G. Sensevy (mésogénèse, topogénèse, chronogénèse). Ces éléments seront notamment envisagés dans une dimension comparatiste, les classes Montessori supposant une modification substantielle de la posture de l'enseignant au regard des classes traditionnelles.