Dans cette communication nous étudions le sens de l'action didactique d'un enseignant en école primaire, en France, à partir d'une double référence : celle des genèses didactiques (méso, chrono et topo - genèses), et celle de l'approche pragmatiste de l'action.
Contexte général et programme de recherche
Cette communication s'inscrit dans un programme de recherche visant à étudier et à comparer les actions didactiques des enseignants dans plusieurs disciplines, ici en éducation musicale et en physique (Maizières et Calmettes ; 2012, Calmettes et Maizières, 2013), deux disciplines caractérisées par des pratiques enseignantes inférieures au volume prescrit par les programmes (Baillat et Mazaud, 2002). Nous entendons par actions didactiques ce que les enseignants font d'un point de vue matériel, organisationnel et conceptuel, lorsqu'ils conçoivent et mettent en œuvre dans la classe des situations d'enseignement-apprentissage.
Nous avons, auparavant, pu mettre en évidence des écarts pouvant être importants entre d'une part les rapports aux savoirs de l'enseignant – liés aux disciplines, et d'autre part ce qu'ils mettaient effectivement en œuvre dans la classe (action, sens de l'action) et ceci quelle que soit la méthodologie employée pour étudier l'action didactique (questionnaire, entretien, observation). Ces écarts peuvent être compris à partir de ce que l'enseignant dit prendre en compte dans la construction et la mise en œuvre des situations : le contexte de la classe (effectif, matériel) mais aussi ce qui relève de la gestion des temps, la lourdeur des programmes et une certaine hiérarchie des disciplines. Ainsi, des enseignants se disent tiraillés entre les valeurs intellectuelles, esthétiques, éthiques et citoyennes des disciplines artistiques et scientifiques qu'ils considèrent comme importantes, et la centration sur l'enseignement des mathématiques et du français qu'attendent d'eux en priorité la société et l'Éducation Nationale.
Cadre théorique et méthodologique
Notre recherche s'appuie sur deux approches théoriques : d'abord, une approche pragmatiste de l'action didactique (Calmettes, 2015), ensuite le cadre des genèses (mésogenèse, chronogenèse, topogenèse) qui permet d'analyser l'évolution des situations (Mercier & al., 2002).
La posture pragmatiste consiste en « une construction au second degré, [...] c'est-à-dire à une construction des constructions édifiées par les acteurs sur la scène » (Corcuff, 2007, p. 103) didactique. Ce n'est « pas ce qu'est le monde “objectivement” qui est visé, mais le monde à travers les sens ordinaires de ce qu'est le monde mobilisé par les personnes [dans l'action] » (Corcuff, 2007, p. 103). Un entretien spécifique est conduit peu de temps après les séances. L'enseignant décrit et justifie son action dans la globalité de la séance et les actions ponctuelles (geste, langage, pensée) qu'il a conduites dans la classe. La compréhension de l'action de l'enseignant (le sens qu'il en donne par son discours) est alors analysé à partir de critères définis par le chercheur : des logiques d'action, des principes, des valeurs, les valuations des modalités de, et pour, l'action : les rapports au savoir, au devoir, au vouloir et au pouvoir (Dewey, 2011 ; Descombes, 2007).
La mésogenèse est relative à l'évolution du milieu didactique de l'enseignant. Nous distinguons, ici, à partir de Bloch (1999), ce qui relève du milieu de l'enseignant et ce qui relève du milieu de l'élève. Le milieu de l'enseignant renvoie à ses projets, ses savoirs professionnels, à la situation vécue. La chronogenèse correspond à l'évolution des connaissances activées par les élèves en situation, en réponse aux consignes notamment, et leur évolution vers des savoirs institutionnalisés. La topogenèse porte intérêt à l'évolution des postures relatives de l'enseignant et des élèves dans les situations au regard des savoirs en jeu.
Si les séances font l'objet d'un enregistrement vidéo, celui-ci n'est jamais montré à l'enseignant. Les données vidéo sont utilisées a posteriori par le chercheur pour illustrer des éléments importants des situations, tels que l'enseignant les a identifiés.
Résultats et éléments d'analyse
L'action de cet enseignant vient quelque peu en contrepoint au regard de ce que nous avions observé comme étant une attitude majoritaire et que nous avons décrit en introduction. L'enseignant, maître-formateur, considère les deux disciplines comme porteuses de valeurs et mobilisatrices pour les élèves.
Pour cela, selon lui, il est nécessaire de travailler sur les aspects motivants des activités. Il développe ainsi bien davantage les situations autour des démarches (invention et création en éducation musicale, investigation en physique) que des contenus. Et il peut donner, à certains moments, à ces deux activités des espaces temporels qui dépassent largement les durées habituelles des séances et ce qu'il a inscrit lui-même dans son projet.
Par cette communication, nous nous inscrivons dans l'item « comprendre » du thème général du congrès. Nous faisons en effet état de la genèse théorique, méthodologique et empirique de notre programme de recherche et de l'évolution des questions que nous nous posons à propos de l'étude de ce que fait, d'un point de vue didactique, un enseignant dans une classe. Le croisement des deux approches théoriques que nous utilisons ici est un aboutissement (provisoire ?) de ce travail.
Références
Bloch, I. (1999). L'articulation du travail mathématique du professeur et de l'élève dans l'enseignement de l'analyse en 1ère S ; détermination d'un milieu ; connaissances et savoirs ». RDM, 19-2, pp. 135-193.
Calmettes, B. (2015). Mondes, transitions intermondaines et kairos didactiques pragmatistes en démarche d'investigation en physique. Education et Didactique, 9.1, pp. 57-80.
Calmettes, B. & Maizières, F. (2013). Essai de compréhension des fondements des actions didactiques de l'enseignant. Approche compréhensive de la valuation. Congrès International de l'AREF - 2013, Montpellier, France
Corcuff, P. (2007). Les nouvelles sociologies. Paris : Armand Colin.
Descombes, V. (2007). Le raisonnement de l'ours ; et autres essais de philosophie pratique. Paris : Seuil.
Dewey, J. (1939/2011). Théorie de la valuation. In J. Dewey. La formation des valeurs. Paris : La Découverte, p. 67-172.
Maizières, F. & Calmettes, B. (2012). Les valeurs et les rapports aux savoirs des enseignants. Congrès Mondial de l'AMSE-AMCE-WAER, Reims, 3-8 juin 2012.
Mercier, A. ; Schubauer-Leoni, M. L.; Sensevy G. 2002. Vers une didactique comparée. RFP 141 : Vers une didactique comparée. Paris : INRP. p. 5-16