La comparaison internationale en éducation, conçue dès le début du siècle passé comme méthode de connaissance des questions éducatives, a acquis depuis les années 1960 une importance croissante dans la régulation des politiques éducatives (Novoa, 2003). Les organisations internationales, auteures des enquêtes comparatives qui ont contribué à l'affirmation du volet politique de l'éducation comparée, supposent que les curriculums (compris à l'échelle macroscopique, des parcours d'enseignement) sont comparables, par delà leurs différences, dès lors qu'ils expriment des fonctions équivalentes au sein des systèmes éducatifs. Celles-ci sont ici identifiées à partir de certaines des caractéristiques structurelles des curriculums (le nombre d'années d'études ; le degré de spécialisation disciplinaire des programmes d'enseignement...) et de leurs finalités, par exemple celle de « préparer les élèves à l'enseignement supérieur », si l'on se réfère aux curriculums lycéens. L'occurrence de telles caractéristiques des curriculums de pays différents les rendrait équivalents et donc comparables.
Compte tenu de la montée en importance des comparaisons dans la régulation des politiques éducatives, la détermination de l'équivalence fonctionnelle des curriculums devient un enjeu. La présente communication a pour objet de discuter l'hypothèse fondamentale d'une investigation en cours qui vise à éclairer la notion de fonction curriculaire et ses déterminants. Il est supposé que les fonctions des curriculums sont identifiables non pas à partir de l'occurrence de certaines composantes structurelles, mais en analysant l'effet systémique qu'elles produisent. Ainsi, chaque système structurel, ou configuration curriculaire (définie essentiellement par les modes d'organisation des enseignements dispensés, les programmes et les modalités d'évaluation) façonnerait une expérience curriculaire particulière, vécue nécessairement par tous les élèves fréquentant le parcours, qui exprimerait les fonctions du curriculum au sein du système éducatif.
D'autres travaux de recherche ont mis en évidence les enjeux liés aux structures curriculaires, à savoir l'existence d'un impact de la « mise en forme » particulière de la prescription curriculaire sur différents aspects de la scolarisation, notamment sur l'accès des élèves à certains savoirs scolaires, voire sur leur réussite dans les apprentissages (Bernstein, 1975 ; Reuter, 2007 ; Rochex, 1995 ; Tanguy, 1983). La recherche ici présentée se distingue des précédentes au moins sur trois aspects : par le fait de concevoir et d'analyser le curriculum à l'échelle macroscopique et non pas au niveau d'un cursus disciplinaire ; par le fait de rapporter les fonctions des curriculums non pas aux enjeux de réussite scolaire mais aux profils des élèves sortants du parcours d'enseignement ; par la méthodologie d'investigation choisie : la comparaison internationale des « cas à la fois similaires et contrastés » (Giraud, 2012 ; Vigour, 2006).
À cet égard, la comparaison menée porte sur trois curriculums de l'enseignement secondaire supérieur général : les GCSE - Advanced levels anglais, le lycée général et technologique français, et le liceo italien. Ces curriculums ont la particularité d'être fondamentalement similaires tant dans leur modèle pédagogique (fondé sur les disciplines scolaires à contenu abstrait) que dans leurs finalités (préparer à l'enseignement supérieur : spécialiser, former et sélectionner) ; ils sont en revanche très contrastés au niveau de leurs structures. Ceci permet de concentrer l'analyse sur la variabilité curriculaire au niveau des structures (par exemple l'existence ou non de la prescription d'enseignements optionnels, l'attribution de coefficients aux disciplines évaluées en fin de cursus, etc.) et en particulier sur leur effet systémique, qui apparaissent clairement comme étant les variables explicatives des différences entre les fonctions des curriculums.
La validation de l'hypothèse de recherche soulèverait des questions sur le plan comparatif autant que sur celui de la construction curriculaire (curriculum design) : on peut s'interroger sur la mesure dans laquelle l'effet systémique des curriculums pourrait être évalué par les acteurs, et sur quelles seraient les conséquences (sur la pertinence des comparaisons, sur la réussite des réformes) s'il n'était pas pris en compte. Au-delà de ces enjeux, cette investigation a été entreprise pour répondre à une recherche de sens sur la démarche comparatiste en éducation ; pour comprendre la tension constante entre d'une part la constatation des différences entre réalités éducatives, et d'autre part le besoin ressenti de créer des catégories communes (comme celle d'enseignement secondaire supérieur) auxquelles les rapporter, en se comparant. Quel sens assument alors ces catégories ? Et les différences observées ? C'est toute la réflexion autour du statut de la comparaison en tant que démarche de connaissance.
BERNSTEIN, B. (1975) : Langage et classes sociales. Codes socio-linguistiques et contrôle social. Paris : Les Éditions de Minuit.
MARTINAND, J.-L. (2001) : Matrices disciplinaires et matrices curriculaires : le cas de l'éducation technologique en France. In C. Carpentier, Contenus d'enseignement dans un monde en mutation : permanences et ruptures (pp. 249-269). Paris : L'Harmattan,.
NOVOA, A. (2003) : Le comparatisme en éducation : mode de gouvernance ou enquête historique ? In P. Laderrière et F. Vaniscotte, L'éducation comparée : un outil pour l'Europe ? (pp. 57 – 79). Paris : L'Harmattan
REUTER, Y. (2007) : La conscience disciplinaire. Éducation et didactique. 2(1), 57-71.
ROCHEX, J.-Y. (1995) : Le sens de l'expérience scolaire. Paris : PUF.
GIRAUD, O. (2012) : Les défis de la comparaison à l'âge de la globalisation : pour une approche centrée sur les cas les plus différents inspirée de Clifford Geertz. Critique internationale, n° 57, 89-110.
VIGOUR, C. (2006) : La comparaison dans les sciences sociales. Collection Grands repères guides. Paris : La Découverte.
TANGUY, L. (1983) : Savoirs et rapports sociaux dans l'enseignement secondaire en France. Revue française de sociologie, n°24, 227-254.