Depuis son apparition, le métier d'ingénieur pédagogique a évolué en parallèle avec le développement d'Internet, des outils numériques et la transformation du/ des secteurs de la formation des adultes.
Ce processus s'accélère aujourd'hui avec la conjonction de trois phénomènes : les évolutions des lois et décrets sur la formation des adultes en France, la diffusion du numérique dans les sphères politique, économique et sociale, et un contexte socio-organisationnel d'optimisation des temps et des situations de formation professionnelle.
L'objectif de notre recherche est d'interroger les facteurs de la professionnalisation des chargés d'ingénierie pédagogique travaillant sur la mise en œuvre de dispositifs incluant le numérique.
Depuis l'introduction du terme ingénierie dans le champ de la formation (Le Boterf , 1985), il semble que cette activité ait été développée par les formateurs et d'autres acteurs du secteur, techniciens, gestionnaires, informaticiens utilisant des méthodes et concevant des outils au service de l'apprentissage.
Aujourd'hui la FOAD peut être en partie en présentiel, les dispositifs qui ont d'abord été mixtes (distanciel / présentiel) sont désormais hybrides, l'apprenant n'attend plus d'être en formation pour se former. Les organisations (entreprises, organismes de formation, ...) attendent des acteurs de la formation qu'ils se professionnalisent, développent leur apprenance (Carré, 2005), sachent travailler en mode projet, développent une culture du digital, utilisent les réseaux sociaux, fassent de la veille, .... Dans des délais de plus en plus courts et au meilleur coût. Parmi eux, les ingénieurs pédagogiques, travaillant à la conception de dispositifs incluant les TIC, doivent connaître les outils, les prestataires, les solutions, faire preuve de créativité, ...
L'ingénieur pédagogique, chargé de concevoir des dispositifs ou des formations en articulant les dispositifs et les dispositions (Jézégou, Lameul et Trollat, 2009), a comme mission principale d'orchestrer des projets pluri-acteurs : experts en la matière, formateurs, équipes techniques (Depover et Marchand, 2002), ou à jouer lui-même ces différents rôles selon les secteurs et la taille des organisations où il travaille. Tantôt formateur consultant, responsable ou ingénieur formation, concepteur, formateur, ou ingénieur pédagogique, la mosaïque des appellations renvoie à la matrice des points de vue sur une profession proposée par Dubar (Boussard, Dubar et Tripier 2013). La frontière entre l'ingénierie de formation et l'ingénierie pédagogique est quelquefois un peu floue (Carré, 2011).
Quels sont les parcours professionnels des chargés d'ingénierie pédagogique, dans quels types d'environnements évoluent-ils, quels sont les facteurs de leur développement professionnel (Demazière, Roquet et Wittorski, 2012)?
Afin de répondre à cette question notre recherche s'articule selon trois axes.
Nous étudions à partir d'une recherche documentaire (littérature scientifique, référentiels et sites d'organisations professionnelles), comment l'activité d'ingénierie pédagogique a évolué depuis son apparition dans le champ de la formation, à travers son institutionnalisation, l'apparition d'une famille d'activité ou professionnelle (Frétigné et Oudet, 2011) en lien avec l'évolution des technologies pour l'apprentissage (Lebrun, 2002), et la transformation digitale de la formation.
La revue de la littérature montre que l'activité d'ingénierie pédagogique relève aujourd'hui de plusieurs champs des sciences de l'éducation, avec notamment le courant des technologies éducatives au Québec, le courant de l'industrial design anglo-saxon ou celui des TICE en France, en Belgique ou en Suisse, d'un côté et la recherche sur l'ingénierie de formation de l'autre.
Puis nous réalisons une étude empirique qui repose sur une série d'entretiens auprès de quinze personnes, professionnels de la formation d'adultes et spécialistes de l'ingénierie ou des technologies en formation. Au cours de ces entretiens nous leur demandons de nous parler de leur parcours professionnel dans la formation en lien avec l'ingénierie pédagogique et le digital, afin d'identifier les principaux facteurs du processus de construction de la professionnalité sur l'activité ou le métier d'ingénieur pédagogique, en fonction des environnements de travail.
Nous cherchons à identifier les facteurs relevant de l'environnement, des pratiques, de l'histoire professionnelle et du rapport la technologie des personnes interviewées, et à les hiérarchiser, par une analyse qualitative de leur discours.
Nous sommes en cours d'analyse de ce corpus avec pour objectif de croiser les facteurs de développement professionnel relevés dans les entretiens avec l'évolution du métier dans la littérature.
L'enjeu pour la recherche est de définir un métier et les déterminants de la professionnalité d'une population peu étudiée (Barbier et al., 2009). Nous cherchons à comprendre les mécanismes de professionnalisation des chargés d'ingénierie pédagogique, en répertoriant les ressorts de professionnalité et les difficultés ou particularités liées au métier et à son lien étroit avec l'histoire de la formation, et des technologies, afin de mieux expliciter les situations professionnelles.
Questionnement transverse :
Le questionnement sur la professionnalisation digitale des ingénieurs pédagogiques, traverse celui de la transformation des métiers de la formation en lien avec le numérique et sa diffusion dans l'ensemble de la société, ce qui questionne l'éthique, le rapport aux technologies et au savoir du praticien et du chercheur.
Bibliographie
Barbier, J.-M. et al. (dir.) (2009). Encyclopédie de la formation. Paris : PUF.
Boussard, V., Dubar, C., et Tripier, P. (2014). Sociologie des professions (4e éd.). Paris : Armand Colin.
Carré, P. (2005). L'apprenance. Paris : Dunod
Carré, P. (2011). Pédagogie des adultes et ingénierie pédagogique. Dans Carré, P. et Caspar, P. (dir.). Traité des sciences et des techniques de la formation (3e éd., p. 423-444). Paris : Dunod.
Demazière, D., Roquet, P. et Wittorski, R., (dir.) (2012). La professionnalisation mise en objet. Paris : l'Harmattan.
Depover, C. et Marchand, L. (2002). e-learning et formation des adultes en contexte professionnel. Bruxelles : De Boeck Supérieur.
Fernagu Oudet, S. et Frétigné C. (2011). Les métiers de la formation. Dans Carré, P. et Caspar, P. (dir.). Traité des sciences et des techniques de la formation (3e éd., p. 563-581). Paris : Dunod.
Jézégou A., Lameul, G. et Trollal A.-F. (dir. ) (2009). Articuler dispositifs de formation et dispositions des apprenants. Lyon : Chronique Sociale.
Le Boterf, (1985). L'ingénierie du développement des ressources humaines : de quoi s'agit-il ?. Education Permanente, n° 81, p. 7-24.
Lebrun, M. (2002). Des technologies pour enseigner et apprendre. Bruxelles : De Boeck Supérieur.