4-7 juil. 2016 Mons (Belgique)

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Le conflit emploi-études/famille chez l'assistant-doctorant : une approche foucaldienne
Perrine Pigeon  1@  
1 : Institute of Analysis of Change in Contemporary and Historical Societies  (IACCHOS)  -  Site web
Place de l'Université 1, bte L0.01.09 B-1348 Louvain-la-Neuve -  Belgique

L'enseignement supérieur belge est, à l'image de la société dans son ensemble, en mutation (Bourgeois et coll., 2009). L'université accueille des profils d'étudiants de plus en plus hétéroclites, dont des adultes en reprise d'études. Dans la majorité des cas, ces derniers - que la littérature anglophone qualifie également d' « étudiants non traditionnels » (Gilardi, Guglielmetti, 2011 : 1), « travaillent, vivent en couple et sont parents d'au moins un enfant » (Nils, 2005, cité par Bourgeois et coll., 2009 : 1). Que le parcours de l'assistant-doctorant soit linéaire (poursuivant son chemin après avoir validé un deuxième cycle de niveau universitaire) ou non, la probabilité existe qu'il soit concerné par l'une des trois situations évoquées plus haut.

À cet effet, cette communication propose d'examiner une dimension peu abordée dans la littérature francophone : celle de l'interface emploi-études/famille. Son focus portera sur l'assistant-doctorant qui incarne tout particulièrement l'une des réalités de cette interface : celle du conflit de rôles (Lavassani, Movahedi, 2014 : 6) (ici, professionnel-étudiant et familial). Premièrement, son contrat de salarié lui balise le champ d'action. Il lui est demandé d'honorer des demandes institutionnelles : préparer, encadrer des exercices et participer aux activités de promotion de l'institution. Deuxièmement, son statut d'étudiant-chercheur le conduit à être scientifiquement performant. Il défend un projet académique de recherche doctorale qui, suivant les critères scientifiques, sera une émanation de ses potentialités, de sa volonté à se mobiliser intellectuellement et géographiquement. Dans ce contexte, l'assistant-doctorant est à tout moment à la merci « des pressions à la productivité, à la compétitivité et à l'accountabilité » (Barbier et coll., 2015 : 1) qui caractérisent, entre autres, sa débutante carrière scientifique. Ces pressions constituent par ailleurs pour lui de nouveaux impératifs professionnels (Souto Lopez, 2012). Troisièmement, l'assistant-doctorant ne peut être dissocié de sa vie privée et des réalités qu'elle renferme. À l'image de ses collègues scientifiques confirmés, l'assistant-doctorant est donc « sous tension » (Fusulier, Del Rio Carral, 2012 : 87).

En partant des travaux de Lewis A. Coser consacrés entre autres au concept de « Greedy institutions » (1974), la question de recherche suivante est avancée: L'Université impose-t-elle à l'assistant-doctorant par « son mode de fonctionnement, ses critères d'évaluation et son processus de sélection » (Barbier, et coll., 2015, abstract) de faire primer ses parcours professionnel et académique sur sa sphère familiale ? Autrement dit, est-elle vraiment responsable de cette mise sous tension ?

Notre hypothèse est que l'institution universitaire n'est pas génératrice du conflit emploi-études/famille vécu par les assistants-doctorants. En effet, en nous reposant sur les travaux de Michel Foucault, nous défendons la thèse que les assistants-doctorants décident seuls d'investir ou de désinvestir leur rôle familial en adoptant leurs attitudes et leurs valeurs aux standards universitaires de l'excellence (Bèzes et al 2011). 

La question de l'articulation emploi-études/famille se heurte donc à des individus s'imposant des contraintes. L'individu est libre ; il peut résister (Foucault, 1984). Suivant l'approche foucaldienne, l'on parlerait plutôt dans ce cas universitaire précis de relations de pouvoir déterminant les conduites des acteurs sur lesquelles elles ont un effet normalisateur (Foucault, 1984). Les relations de pouvoir, via les mécanismes de contrôle qu'elles mettent en place, jouent d'une double dimension : contraignante et habilitante (Grimand et coll., 2014). Malgré les contraintes institutionnelles, qui poussent à une homogénéisation des conduites en lien avec la carrière scientifique, l'assistant/doctorant reste libre de se conformer ou de résister au modèle que les acteurs universitaires lui proposent. Foucault (1984) insiste sur la liberté de l'acteur engagé dans des relations de pouvoir et sur sa possibilité de choisir. En effet, l'efficacité du modèle repose, non sur la contrainte, mais sur le libre consentement des individus qui se glissent dans l'enveloppe qu'ils choisissent. A cet égard, cette communication s'inscrira à bon escient dans l'axe « Comprendre » du thème transversal proposé car elle veillera à interroger entre autres « l'évolution du contexte de la recherche, les contraintes qui pèsent sur les scientifiques, l'individualisme, la mise en compétition et les valeurs qui sous-tendent le parcours académique et scientifique ». En effet, si ces réalités mettent l'assistant-doctorant sous-tension, pourquoi - alors qu'il est libre – choisit-il de se conformer plutôt que de résister aux normes institutionnelles ?

Méthodologiquement, cette communication proposera dans un premier temps de penser et de définir le concept de conflit emploi-études/famille et dans un second temps, de l'opérationnaliser autour d'une étude de cas reposant sur la figure de l'assistant-doctorant. Par ailleurs, elle tentera d'apporter modestement des apports à la question de l'articulation travail/famille - et entre autres à sa dimension genrée - développée dans la littérature francophone depuis 2000. 

Barbier P., Fusulier B., Shaik F. (2015) : « Naviguer dans une carrière scientifique : une question de supports configurationnels privés et professionnels ». Communication au colloque international « Les femmes dans le monde académique », Paris Diderot, Sorbonne Nouvelle, Paris 3/Paris 13 et Paris Descartes, du 26/03/2015 au 27/03/2015.

Bezes, P., Demazière, D., Le Bianic, T., Paradeise, C., Normand, R., Benamouzig, D., ... Evetts, J. (2011). New Public Management et professions dans l'État: au-delà des oppositions, quelles recompositions? Sociologie du Travail, 53(3), 293–348.

Bourgeois E., De Viron F., Nils F., Traversa J., Vertongen G. (2009) : « Les motifs d'entrée en formation des adultes en reprise d'études universitaires ». L'orientation scolaire et professionnelle, URL : https://osp.revues.org/1829.

Coser A. L. (1974). Greedy institutions : patterns of undivided commitment. New-York : The Free Press.

Del Rio Carral M., Fusulier B. (2012) : Chercheur –e-s sous haute tension !. Louvain-La-Neuve : Presses universitaires de Louvain. .

Foucault M. (1984): « The ethic of care for the self as a practice of freedom, an interview with Michel Foucault on January 20, 1984 ». Philosophy Social Criticism, n°12, p. 112-131.

Fusulier B., Nicole-Drancourt C. (2015) : « Retour sur l'impossible conciliation Travail/Famille ». Revue Interventions économiques (en ligne), 53, mis en ligne le 1 septembre 2015, consulté le 7 janvier 2016.

Gilardi S., Guglielmetti C. (2011): « University life of non-traditional students : engagement styles and impact on attrition ». The journal of Higher Education, vol 82, n°1, pp. 33-53.

Grimand A., Oiry E., Ragaigne A. (2014): « Contraindre et habiliter: la double dimension des outils de contrôle ». Comptabilité-Contrôle-Audit, vol. 2, tome 20, p. 9-37.

 Souto Lopez M. (2012) : « Les cercles vertueux de l'économie de la connaissance ». In Charlier J-E., Croché S., Leclercq B. (coord.) : Contrôler la qualité dans l'enseignement supérieur, Louvain-la-Neuve : Academia-L'Harmattan, p. 297-326.


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